Chaque hiver, le Père Noël revient… et la bande dessinée s’en empare. Tantôt héros, tantôt figure absurde ou simple révélateur du quotidien, il traverse les cases sous des formes multiples. Derrière l’humour et la magie, les BD de Noël racontent surtout notre rapport à l’enfance, aux règles et à cette envie — parfois fragile — de continuer à y croire.
En bande dessinée, le Père Noël n’est presque jamais cantonné à son rôle traditionnel. Il devient un personnage narratif à part entière, capable de porter aussi bien la satire sociale que l’émotion intime ou la relecture mythologique. La BD se distingue par sa liberté de ton : elle peut montrer un Père Noël fatigué, ironique, maladroit ou héroïque, sans jamais détruire complètement la magie qu’il incarne.
Cette plasticité explique pourquoi il revient régulièrement dans les récits. Le Père Noël permet de parler du présent sous couvert d’un mythe universel, compris de tous.
Lewis Trondheim : l’absurde comme mise à distance
Dans Le Père Noël, Lewis Trondheim opte pour une approche minimaliste et absurde. Le dessin épuré et les situations répétitives installent un humour discret, parfois dérangeant. Le Père Noël y apparaît moins comme un héros que comme un personnage prisonnier de sa fonction, condamné à répéter inlassablement les mêmes gestes.
Derrière cette apparente légèreté, Trondheim interroge la mécanique même du mythe. Le rire naît du décalage, mais il laisse aussi place à une forme de lassitude, presque existentielle.
Klaus : le mythe réinventé
À l’opposé de cette sobriété, Klaus de Grant Morrison et Dan Mora propose une relecture spectaculaire des origines du Père Noël. Le personnage y devient une figure quasi mythologique, entre légende nordique et héros épique. Action, symbolisme et esthétique puissante redonnent au mythe une ampleur rarement vue.
Mais Klaus ne se contente pas d’impressionner. Il pose une question essentielle : pourquoi avons-nous encore besoin de figures symboliques ? Derrière la violence et l’héroïsme, le récit parle de croyance, de transmission et de résistance face au désespoir.
Gaston Lagaffe : la tradition malmenée
Dans les épisodes de Noël de Gaston Lagaffe, le Père Noël n’est jamais le centre de l’histoire, mais il agit comme un révélateur. Sa simple apparition suffit à déclencher le chaos. Cadeaux abîmés, événements ratés, attentes déçues : Noël devient un terrain fragile où tout peut basculer.
Franquin utilise le Père Noël comme symbole d’un ordre social que l’absurde vient systématiquement perturber. Une façon subtile de montrer à quel point les traditions tiennent parfois à peu de chose.
Les Bidochon : Noël sans illusion
Avec Les Bidochon, la magie disparaît presque totalement. Noël n’est plus une promesse, mais une obligation sociale. Les cadeaux deviennent source de frustrations, les repas familiaux de tensions, et le Père Noël une idée à laquelle plus personne ne croit vraiment.
Cette vision grinçante n’est jamais gratuite. Elle pointe ce que devient Noël lorsqu’il ne reste que la mécanique sociale, vidée de son sens émotionnel.
Le Père Noël et Fils : le mythe dynamité par la satire
Avec Le Père Noël et Fils, Philippe Vuillemin livre l’une des visions les plus corrosives du mythe. Ici, le Père Noël est tout sauf rassurant : vulgaire, cynique, dépassé, parfois franchement antipathique. La bande dessinée ne cherche jamais la tendresse ; elle attaque frontalement la figure sacrée pour mieux en révéler les travers.
Le Père Noël devient un symbole d’hypocrisie, de tradition imposée et de valeurs transmises sans réflexion. En mettant en scène la relation père-fils, Vuillemin détourne le conte pour en faire une satire féroce de l’héritage, de l’autorité et du poids des rôles sociaux. Noël n’est plus un moment de magie, mais un terrain de conflit générationnel et de désillusion assumée. Une œuvre volontairement dérangeante, qui rappelle que la bande dessinée peut aussi utiliser le Père Noël pour choquer, provoquer et déconstruire.
Merlin contre le Père Noël : le choc des mythes, version absurde
Avec Merlin contre le Père Noël, Marcel Gotlib orchestre une rencontre aussi improbable que révélatrice. En confrontant le magicien de la légende arthurienne à l’icône populaire de Noël, Gotlib ne cherche ni la cohérence ni la magie, mais le dynamitage pur des mythes. Le Père Noël y devient un personnage ridicule, dépassé, soumis aux règles absurdes d’un monde qui ne respecte plus rien — pas même ses propres symboles.
L’humour repose sur l’accumulation de non-sens, de ruptures de ton et de détournements constants, signature de Gotlib. Derrière la farce, la BD affirme une idée centrale : les figures mythiques n’existent que parce qu’on accepte d’y croire, et la bande dessinée peut tout à fait se permettre de les malmener pour mieux en révéler l’artificialité. Ici, Noël n’est plus un moment sacré, mais un terrain de jeu anarchique où la tradition explose en plein vol.
Peanuts : croire encore, malgré la déception
Dans Peanuts, le Père Noël est moins un personnage qu’une attente. Charlie Brown incarne cette difficulté à croire encore à quelque chose de simple dans un monde souvent décevant. Schulz observe ses personnages avec une immense tendresse, sans ironie ni cruauté.
La magie de Noël existe, mais elle est fragile, presque silencieuse. C’est précisément cette retenue qui rend ces récits intemporels.
Le Noël de Zack : la magie confrontée au quotidien
Dans Petites histoires de Mes papas et moi, l’épisode Le Noël de Zack adopte une approche plus intime et familiale du Père Noël. Zack écrit au Père Noël pour demander un cadeau non pas pour lui, mais pour son chien, convaincu que celui-ci a été sage. Ce raisonnement simple et sincère met en lumière le décalage entre la logique enfantine — fondée sur l’affection et la justice émotionnelle — et celle des adultes, plus normative et pragmatique.
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Le Père Noël, confronté à cette demande inhabituelle, apparaît comme une figure bienveillante mais faillible. Le cadeau accordé, source de joie pour l’animal mais de désordre pour les adultes, rappelle que la magie de Noël, en bande dessinée, ne supprime pas le réel : elle le révèle, souvent avec humour et tendresse.
Le Père Noël comme révélateur, jamais comme solution
Ce qui relie toutes ces bandes dessinées, c’est une idée simple : le Père Noël ne règle rien. Il révèle. Il met en lumière les attentes, les contradictions et les désillusions, sans jamais les effacer totalement. Qu’il soit héroïque, absurde, désenchanté ou bienveillant, il agit comme un miroir de notre rapport à l’enfance et aux traditions.
Une figure toujours actuelle
Si le Père Noël continue de traverser la bande dessinée, ce n’est pas par nostalgie. C’est parce qu’il reste un formidable outil narratif. La BD l’utilise pour interroger nos croyances, nos habitudes et notre capacité à encore accorder de la valeur à des gestes simples.
À travers l’humour, la satire ou la tendresse, les aventures du Père Noël en bande dessinée rappellent une chose essentielle : la magie n’est jamais dans la perfection, mais dans ce que l’on choisit encore de transmettre.







