Le Festival d’Angoulême 2026 est au centre d’une crise sans précédent. Entre annonces contradictoires, boycott massif et retrait de subventions publiques, l’événement théoriquement prévu pour la fin janvier semble plus menacé que jamais. Alors que les organisateurs nient toute annulation, la profession, elle, considère l’édition 2026 comme déjà impossible à tenir.
Officiellement, donc, aucune annulation n’a été prononcée. Mais cette réponse, davantage prudente que rassurante, laisse transparaître un profond malaise.
Un ministère de la Culture qui appelle au maintien… tout en coupant 60 % des subventions
Le lendemain, le ministère de la Culture intervient pour clarifier sa position : il souhaite qu’une édition 2026 puisse se tenir. Mais cette volonté affichée contraste avec une décision lourde de conséquences. Face aux « manquements » constatés lors de l’édition 2025, l’État a réduit de plus de 60 % sa subvention accordée à 9e Art+.
![]() |
Ce retrait financier fragilise encore davantage un festival dont le budget dépend à près de moitié des pouvoirs publics. Difficile d’imaginer une édition sereine lorsque les ressources fondent et que le contexte politique s’envenime. Entre volonté institutionnelle et réalités budgétaires, le message du ministère apparaît double : maintenir Angoulême, oui, mais pas à n’importe quel prix.
Une contestation qui couve depuis longtemps
La crise actuelle n’éclate pas par hasard. Depuis plusieurs mois, la gouvernance du festival est remise en question. Une enquête de L’Humanité, publiée en janvier dernier, avait déjà mis en lumière des dysfonctionnements majeurs : opacité financière, management jugé toxique, burn-out répétés, et même le licenciement d’une salariée après qu’elle a porté plainte pour un viol subi pendant l’édition 2024.
Ces révélations ont secoué la profession et profondément entamé la confiance envers 9e Art+. Malgré la tenue du festival 2025 et son succès public, une fracture durable s’est installée entre les organisateurs et l’écosystème de la bande dessinée.
L’appel historique à “déserter Angoulême”
Face à ces dérives, les auteurs ont lancé une mobilisation sans précédent. En avril, un appel public à “déserter Angoulême” rassemble des centaines de signatures, parmi lesquelles celles de Pénélope Bagieu, Riad Sattouf, Catherine Meurisse ou Lewis Trondheim. Leur revendication est claire : mettre fin au rôle de 9e Art+ et repenser entièrement la gouvernance du festival.
En octobre, un nouveau coup de tonnerre éclate lorsque la Grand Prix 2025, Anouk Ricard, annonce qu’elle boycottera l’édition 2026. Elle refuse également l’exposition majeure qui devait lui être consacrée. Son geste provoque un effet domino et donne au boycott une dimension symbolique inédite.
Les éditeurs se retirent : le festival privé de ses piliers
Après les auteurs, ce sont les maisons d’édition qui se retirent à leur tour. Dargaud, Casterman, Glénat et bien d’autres annoncent qu’ils ne participeront pas à l’édition 2026. Dans un communiqué, le Syndicat national de l’édition est catégorique : le mouvement est si large que le festival, dans son format traditionnel, ne pourra plus se tenir.
Ce retrait massif prive Angoulême de ses stands, de ses rencontres, de ses avant-premières, et d’une grande partie de son attractivité. Sans éditeurs ni auteurs, c’est tout le cœur du festival qui disparaît.
Pourquoi personne n’ose annoncer officiellement l’annulation ?
La situation est paradoxale : tout indique que l’édition 2026 est impossible à organiser, mais aucun acteur — ni 9e Art+, ni les pouvoirs publics — ne prononce le mot “annulation”. Cette ambiguïté s’explique facilement.
Les organisateurs ne veulent pas endosser la responsabilité du naufrage. Les collectivités locales redoutent des répercussions économiques désastreuses pour les commerces angoumoisins. Le ministère souhaite un maintien symbolique pour éviter d’être accusé d’avoir laissé mourir un événement international majeur. Quant aux auteurs et éditeurs, ils veulent sanctionner une gouvernance défaillante sans pour autant condamner définitivement le festival.
Résultat : une communication hésitante, parfois contradictoire, qui entretient la confusion.
Un festival “réduit”, un report… ou une année blanche ?
Plusieurs scénarios sont évoqués pour 2026. Le premier consisterait en une édition extrêmement réduite, concentrée autour de la Cité de la bande dessinée, avec quelques expositions et événements symboliques. Un autre envisage un report ou une refondation improvisée par les collectivités.
![]() |
Mais le scénario le plus réaliste, aujourd’hui, est celui d’une année blanche non assumée. Une édition 2026 qui ne serait jamais officiellement qualifiée d’annulée, mais qui, dans les faits, ne se tiendrait pas.
Un impact durable sur l’image du festival
Quelle que soit l’issue, la réputation du FIBD sort profondément abîmée de cette crise. Angoulême, souvent présenté comme le “Cannes de la BD”, se retrouve associé à des conflits internes, des scandales de gouvernance et une mobilisation historique contre ses organisateurs.
Cette perte de crédibilité soulève une question essentielle : comment redonner confiance aux auteurs, aux éditeurs et au public pour 2027 ? La refondation sera profonde, et probablement longue. Le festival devra reconstruire son image presque depuis zéro.
Officiellement maintenu, mais pratiquement irréalisable
Au terme de ce feuilleton, un constat s’impose : l’édition 2026 n’est pas officiellement annulée, mais elle est quasiment impossible à organiser. Entre boycott, chute des financements, défiance des professionnels et crise de gouvernance, toutes les conditions sont réunies pour une année blanche.
Angoulême 2026 restera comme un tournant. Et 2027 devra marquer non seulement le retour d’un festival, mais aussi la renaissance d’une institution malmenée qui doit retrouver son sens et sa légitimité.



