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Pression des réseaux sociaux : comment la visibilité a remplacé l’identité

La pression des réseaux sociaux influence aujourd’hui notre façon de nous percevoir et d’exister. Elle déplace l’identité du vécu vers l’image, et fait du regard une mesure de valeur.

Exister ne suffit plus : il faut être vu. La vie s’est déplacée du dedans vers l’image, en grande partie sous l’influence des réseaux sociaux. Ce que nous ressentons, faisons ou pensons ne compte vraiment que s’il peut être montré, commenté, validé. Le regard des autres n’est plus une éventualité : il est devenu une norme silencieuse. On ne vit plus pour soi, mais pour produire une version de soi qui puisse circuler publiquement. Ce qui n’est pas publié semble désormais ne pas exister du tout : l’identité devient identité numérique, calibrée pour plaire au regard collectif.

Kim Kardashian, Mbappé, mais aussi des millions de profils anonymes, construisent leur image dans cette logique du spectacle permanent. Le soi ne se définit plus par ce que l’on ressent, mais par ce que l’on donne à voir. La pression des réseaux sociaux remplace l’expérience intérieure par sa représentation. Le regard extérieur n’accompagne plus l’existence : il la détermine.

Comment nous en sommes arrivés là

Ce changement s’inscrit dans l’héritage de la société de consommation. Quand posséder ne suffit plus à se distinguer, on commence à se différencier par des manières de vivre, puis par des identités visibles. Les réseaux sociaux ne créent pas ce mouvement : ils le rendent permanent. Nous ne nous comparons plus à quelques connaissances, mais à des existences retouchées, scénarisées, améliorées pour convaincre. Les algorithmes renforcent ce qu’ils considèrent comme attirant. Ce qui attire l’attention devient la norme du désirable. Et cette norme n’a rien de naturel.

Qui n’a jamais été sur Facebook ou Instagram ?

Le désir comme mesure sociale

La valeur personnelle se mesure désormais en attention. Instagram, TikTok ou X nous obligent à penser notre identité en termes de visibilité. Plus l’attention reçue est forte, plus on croit exister. Quand elle s’effrite, l’estime de soi se fissure.

Sur les applications de rencontre, ce phénomène devient encore plus direct. Grindr, Hornet, Tinder ou Happn compressent l’identité en une image. Ce n’est plus la personne qui compte, mais l’impression qu’elle produit immédiatement. On n’entre pas en relation : on trie. On n’existe plus par ce que l’on est, mais par ce que l’on produit comme réaction.

La cruauté des commentaires

À cette logique de sélection s’ajoute une violence supplémentaire : celle des commentaires. Derrière un écran, les regards deviennent des jugements, les opinions deviennent des sentences, et l’humour devient souvent une forme de dévoration. On commente un corps, un visage, une attitude, une vie, comme on critique un produit ou une vitrine. Et l’on oublie qu’une personne se trouve derrière.

La meute numérique ne discute pas : elle tranche.
Elle ne dialogue pas : elle réagit.
Elle ne nuance pas : elle dévore.

Les mots, ici, frappent plus vite que la pensée qui les produit. Une remarque méprisante peut être reçue par quelqu’un déjà fragile. Une humiliation publique peut s’imprimer dans l’identité avec la précision d’une brûlure. Le commentaire, souvent présenté comme innocent ou « honnête », peut devenir l’arme la plus efficace pour réduire une personne au silence.

Quand l’image remplace la personne

Sous l’effet combiné de l’exposition et du jugement, l’espace intérieur se rétrécit. On se regarde vivre. On joue sa propre version. On s’ajuste pour ne pas perdre le regard, et le regard devient la seule mesure de ce que l’on est. L’identité se déplace du dedans vers le dehors. Et lorsque le dehors vient à manquer, tout s’effondre.

C’est ce qui relie les cas d’Alexis Sharkey et de Manguette : non pas un événement brutal, mais l’absence de place pour la personne derrière l’image. La façade a tenu plus longtemps que l’être.

Loïc comme révélateur

Dans Mes papas & moi, Loïc semble parfaitement adapté à cette société de la lumière. Il brille, il charme, il occupe l’espace. Mais Le monde selon Loïc montre que cette lumière n’est pas un trait naturel : c’est une construction. Loïc ne cherche pas à être aimé. Il cherche à ne pas disparaître. Il sait que la société efface ceux qu’elle ne regarde plus. Ce n’est pas de la vanité. C’est une lutte.

Le pro de Grindr !

Le danger d’une identité sans intérieur

Lorsque la valeur de soi dépend du regard, la vie intérieure perd son espace. Les émotions se vivent à travers ce qu’elles donnent à voir, plutôt qu’à travers ce qu’elles font sentir. On ne sait plus si l’on ressent vraiment, ou si l’on joue à ressentir. La peur n’est pas de ne pas être beau. La peur est de devenir transparent.

Pour aller plus loin : étude de l’INSERM sur l’impact des réseaux sociaux sur l’estime de soi : https://www.inserm.fr/

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Mikl Mayer

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