En France, la BD LGBT peine à trouver sa place, alors qu’elle cartonne à l’étranger. Entre censures, frilosité du marché et idées reçues, voici quelques pistes pour vous aider à comprendre
Depuis quelques années, la BD LGBT explose un peu partout sur la planète. Aux États-Unis, des titres comme Heartstopper, Check, Please! ou Fun Home raflent des prix, envahissent les étagères des librairies et deviennent même des séries Netflix. En Corée du Sud, des millions de lecteurs se passionnent chaque semaine pour des séries boys’ love ou girls’ love sur Webtoon, où l’on peut passer de la romance la plus mignonne à la scène torride… sans préavis. En Espagne, en Italie ou en Allemagne, on trouve des rayons entiers consacrés à la BD queer, parfois même signalés par des petits drapeaux arc-en-ciel.
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Et pendant ce temps, en France, la BD LGBT semble encore coincée dans un placard. Un placard bien rangé, certes, mais fermé à clé.
Une exception qui confirme la règle
En 2023, Heartstopper d’Alice Oseman s’est vendu à plus de huit millions d’exemplaires dans le monde. Oui, huit millions ! L’équivalent de la population de la Suisse, rien que ça. En France, le titre existe bel et bien, mais il reste une exception isolée. Dans le top des ventes BD, on voit surtout défiler des séries jeunesse ultra-grand public, des blockbusters franco-belges, ou des mangas shonen où personne n’ose dire qu’il est amoureux avant le tome 27.
Quant aux BD LGBT, elles restent globalement invisibles. Sauf quelques rares succès comme ceux de Julie Maroh, Mirion Malle ou certains titres courageusement publiés chez Steinkis ou Glénat, qu’on doit parfois chercher sous une pile de Titeuf à la librairie.
Un regard encore frileux
Je le constate aussi à mon niveau, avec mon propre travail. Sur miklmayer.fr, je publie des histoires comme Mes papas & moi ou Le monde selon Loïc, des BD avant tout familiales, mais qui évoquent la question de l’homoparentalité (mot tellement répandu qu’à chaque fois que je le tape, mon correcteur me signale une faute d’orthographe), du coming out, du VIH, et parfois de sexualité. Oui, il y a des scènes avec des garçons torse nu, mais promis, il y a aussi des moments où on parle de couches-culottes, de boulot pénible, et de la vraie vie.
La plupart des retours que je reçois sont d’ailleurs très positifs. Beaucoup de lecteurs me disent qu’ils aimeraient en voir davantage, que ces récits manquent cruellement dans le paysage BD français. Par contre, malgré cet intérêt, il subsiste une certaine frilosité du marché. Sur les réseaux, certaines de mes affiches ont été censurées simplement parce qu’elles montraient un torse nu. Et dans le circuit classique, il reste compliqué de trouver une place pour des BD qui parlent ouvertement d’homoparentalité ou de sexualité sans finir cataloguées dans un rayon spécial, un peu planqué entre “Études de genre” et “Sciences sociales.”
Pas seulement des histoires “militantes”
En France, la BD LGBT est encore trop souvent perçue comme une lecture militante ou communautaire. Dès qu’une BD ose aborder l’homosexualité ou la transidentité, elle est rangée dans un rayon à part, comme si elle ne pouvait pas concerner tout le monde. Pourtant, ces histoires parlent de famille, d’amour, de ruptures, de rires et de chagrins, de tout ce qui fait la vie de monsieur et madame Tout-le-monde. Et parfois de monsieur et monsieur, ou de madame et madame, et alors ?
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Dans d’autres pays, la lecture queer est devenue un genre à part entière, sans forcément être militante. On peut lire une histoire gay simplement parce qu’elle est drôle, touchante ou bien écrite. Ici, il faut encore se justifier, expliquer qu’une BD LGBT peut tout simplement être une bonne histoire, même sans slogans ni drapeaux brandis à toutes les pages.
L’espoir d’un changement
Les mentalités évoluent, heureusement. Les jeunes lecteurs cherchent de plus en plus des personnages dans lesquels ils se reconnaissent. Les festivals comme Angoulême commencent à programmer davantage de voix queer. Et les plateformes web comme Webtoon ou Tapas offrent de nouvelles opportunités pour ces récits, même si parfois il faut scroller trois kilomètres pour tomber sur autre chose qu’une romance entre un démon et un étudiant.
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Mais dans le circuit classique des librairies, la BD LGBT reste encore reléguée à quelques titres isolés, ce qui est dommage, car il y a un vrai public, avide de ces histoires. Pas uniquement un public LGBT, d’ailleurs. Beaucoup de gens veulent juste lire des récits humains, où l’amour et la famille ont mille visages.
Ce que je veux raconter
Avec mes BD, je ne cherche pas seulement à représenter la communauté LGBT. Je veux raconter des histoires universelles, faire rire, émouvoir, parfois même choquer un peu, parce qu’après tout, c’est aussi ça la liberté artistique. Et peut-être, modestement, contribuer à ce qu’en France aussi, la BD LGBT sorte enfin du placard, retire sa poussière de naphtaline et rejoigne le rayon des histoires qu’on lit simplement parce qu’elles sont bonnes.